Comme le reconnaît le grand amérindianiste québécois Rémi Savard dans son ouvrage Destins d'Amérique, "la véritable dimension américaine, à laquelle nous convient encore aujourd'hui les peuples issus de ce continent, n'est ni anglaise, ni française, ni indienne, ni inuit; elle tient dans la notion autochtone de Grand Cercle, selon laquelle le respect obsessif de la spécificité de chaque chaînon devient la condition indispensable au maintien de l'ensemble. Nous n'avons plus le choix; c'est dans cette Amérique-là qu'il faut songer sérieusement à débarquer enfin.»
Ce qui fait la force singulière de la philosophie amérindienne, est la capacité de toutes les nations amérindiennes de s'entendre quant à l'idée de l'unité et de la dignité de tous les êtres. L'Amérindien, lorsqu'il se recueille pour prier, adresse une salutation à tout l'univers. Cela lui permet de reconnaître sa place dans la création, c'est-à-dire, comme l'explique un chef spirituel onondagué, que "nous ne sommes pas ceux qui dirigent; nous devons fonctionner ensemble afin de survivre. Nous sommes assis. (lorsque nous nous assemblons ) avec le Grand Cercle universel de la vie. Nous sommes tous égaux, la vie est toute égale."
La vie sous toutes ses formes est respectée par l'Amérindien. Chez les nations des Prairies, l'officiant de la suerie rituelle rend hommage aux pierres rougies au feu, au moment où on les amène de la tente à suer par une porte réservée: "Merci, parentes sacrées, pour avoir aidé vos frères humains à se purifier au contact des forces éternelles Continuez maintenant votre existence pendant que nous, vos parents reconnaissants, vivons. Merci, parentes sacrées." Okute, un sage Sioux, expliquait en 1911: "Quand un homme -médecine dit qu'il parle aux pierres sacrées, c'est parce que de toutes les substances du sol, elles sont celles qui apparraissent le plus souvent dans les rêves et qui peuvent communiquer avec les hommes."
Si, d'autre part, l'attitude révérante des autochtones américains face aux animaux peut être une indication de leur reconnaissance du caractère précieux de la vie humaine, témoignons de la scène suivante.:
L'ancien Alexander Henry se souvient de ce qui se passa après qu'il eût tué une ourse en état d'hibernation: "L'ourse étant morte, tous mes assistants (amérindiens) s'approchèrent et tous, mais particulièrement ma vieille mère (adoptive ojibwé), [...] prit sa tête dans ses mains, la caressant et la baisant plusieurs fois, lui demandant mille fois pardon parce que nous lui avions enlevé la vie, l'appelant leur parente et grand-mère et la suppliant de ne pas mettre la faute sur eux, puisque c'était vraiment un Anglais qui lui avait infligé la mort."
Quant au monde des esprits, l'homme sacré ojibwé Peter Ochees insiste pour que les âmes soient traitées et vues comme des parentes, tout simplement. La reconnaissance d'un monde où règnent les esprits est spontanée chez l'Amérindien et c'est un exercice normal de son esprit que de communiquer avec ce monde, qui lui est également parent. "L'Indien d'Amérique, écrit Calvin Martin, vivait plus ou moins dans un monde que l'on appellerait mythique." "Il me semble, continue plus loin cet historien, que le texte entier de cette histoire [de l'Amérindien] -tout au long de ses 500ans- doive être rédigé de façon à y inclure cette perspective cosmologique [...] si l'on veutcomprendre un tant soit peu le comportement indien.» En conclusion, l'auteur dit: "Dans notre effort pour le trouver, [l'Indien, tel qu'il se définit lui-même, ainsi que le monde], nous discernerons peut-être une autre signification à cette terre. Dans un sens très concret, la signification du Nouveau Monde attend toujours qu'on la découvre."
Le témoignage de l'Amérindien, de son affection pour la terre, est universel. Dans toutes les régions des Amériques, à toutes les époques, ce ne sont que les mots qui changent. L'expression se fait d'autant plus émue qu'est imminent le danger de se voir enlever ses terres, ou de les voir détruites. Le chef et orateur sioux Luther Standing Bear, au début des années 1900, fait écho au sentiment de tous ses frères autochtones des Amériques:
Le Lakota [Sioux] était empli de compassion et d'amour pour la nature. Il aimait la terre et toutes les choses de la terre, et son attachement grandissait avec l'âge. Les vieillards étaient -littéralement- épris du sol et ne s'assoyaient ni ne se reposaient à même la terre sans le sentiment de s'approcher des forces maternelles. La terre était douce sous la peau et ils aimaient à ôter leurs mocassins et à marcher pieds nus sur la terre sacrée [...]Le sol apaisait, fortifiait, lavait et guérissait. [...]
C'est pourquoi les vieux Indiens se tenaient à même le sol plutôt que de rester séparés des forces de vie.
Ces relations qu'ils entretenaient avec tous les êtres sur la terre, dans le ciel ou au fond des rivières, étaient un des traits de leur existence.
[...] Le vieux Lakota était un sage. Il savait que le coeur de l'homme éloigné de la nature devient dur; il savait que l'oubli du respect dû à ce qui pousse et à ce qui vit amène également à ne plus respecter l'homme. Aussi maintenait-il les jeunes gens sous la douce influence de la nature.