En 1974, l'historien torontois Donald B. Smith écrivait, en conclusion de son ouvrage Le "sauvage".
Si nous voulons dépeindre de façon réaliste le passé des autochtones, il est indispensable de connaître en détail leurs croyances et leurs coutumes. Quand ils ont laissé peu ou pas de document écrits, il faut tenir compte de leur tradition orale. Les historiens doivent s'initier à la fois aux traditions et aux documents et connaître les hommes autant que les archives.
L'autohistoire amérindienne est une approche éthique de l'histoire et elle est basée sur deux prémisses. La première est qu'en dépit du mode d'appropriation du territoire par les Européens, les valeurs culturelles de l'Amérindien ont davantage influencé la formation du caractère de l'Euro-Américain que les valeurs de ce dernier n'ont modifié le code culturel de l'Amérindien, puisque ce dernier n'a pas quitté son milieu naturel. La seconde est que l'histoire n'a pas encore compris que l'étude de la persistance des valeurs essentielles amérindiennes, à l'aide du témoignage de l'Amérindien lui-même, est plus importante quant au caractère social de la science historique que les analyses si souvent faites des transformations culturelles, intéressantes certes du point de vue technique, mais de portée sociale trop souvent négligeable. Ben Kroup, anthropologue au service de l'Etat de New York, exprime très bien la responsabilité du professionnel "qui vit de l'interprétation des cultures autochtones": Les archéologues, les gens des musées, la plupart des historiens semblent être orientés vers les objets et les documents -ils ne traitent habituellement pas avec des gens "en chair et en os." Plus loin, il ajoute qu'il n'a pas appris "des consultants [sénécas] les choses qui intéressent habituellement les anthropologues, comme les déterminants culturels, les relations entre systèmes traditionnels, les chants, les danses, etc. [mais qu'il a appris] ce qui est probablement plus important, les valeurs, les idéaux, les buts des Iroquois conscientisés d'aujourd'hui [...] L'histoire ne vaut pas la peine d'être écrite si elle n'est pas mise en relation avec les réalités actuelles. En fait, elle ne peut être écrite ainsi. La création -l'écriture- de l'histoire ne peut divorcer des espoirs, des craintes et des problèmes contemporains. L'Amérique dominante a tellement à apprendre des Six-Nations [...]Si jamais nous faisons face à la réalité de notre "contact" avec les Iroquois depuis trois siècles et demi, nous pouvons avoir une chance, en tant que civilisation.»
On conçoit d'emblée que, du point de vue autochtone, la persistance des valeurs essentielles est plus importante que le changement, tout comme, du point de vue non autochtone, l'intérêt a toujours été d'étayer le mythe de la disparition des Amérindiens. Cependant, si l'on accepte les deux prémisses de notre approche historique, on peut percevoir combien, sur les plans historique et social, il est essentiel de savoir qui est l'Amérindien et ce qu'il peut continuer d'apporter au non-Amérindien.
L'examen de la tradition philosophique amérindienne permet de constater la persistance, la vivacité et l'universalité des valeurs essentielles et propres à l'Amérique. Avec cet outil de conscientisation de la société non-autochtone, il sera possible de démontrer que, si l'histoire doit être sensible aux besoins de la société, elles doit également s'attacher à étudier et à dégager ce qui est salutaire à la société dominante, plutôt que de poursuivre le discours au sujet des cultures « primitives » mortes ou moribondes. Ce genre d'histoire est socialement irresponsable, inutile et trompeur. L'histoire ainsi faite est comme une coquille sans son contenu animal: elle a pour sujet la matière et non la pensée.
En résumé, l'Amérindien pense qu'il a changé, comme tout bien sûr se transforme, mais qu'il est toujours lui-même. Sa vision est restée la même: il a toujours le même respect pour la terre et celle-ci éveille infiniment plus sa sensibilité que, par exemple, la guerre des étoiles pour laquelle il n'a pas la moindre admiration.
L'Amérindien est naturellement porté à réfléchir sur l'ordre de la vie (le Cercle) et le but des choses. Il ne voit pas l'histoire comme un sens que l'homme peut conférer à la vie; l'Amérindien accepte plutôt le sens de la vie qui est la liberté de chaque être. Il croit que les hommes ne font pas la vie, mais que c'est la vie qui fait les hommes. Pour l'Amérindien, la théorie de l'évolution signifie l'empire de l'homme sur le temps; l'histoire telle qu'elle a été imposée à l'Amérindien représente un refus de l'étranger de le laisser accomplir sa vision. Tenter de comprendre la vie, c'est en suivre le mouvement; se préoccuper de n'enregistrer que les "faits" pour s'en souvenir, c'est préférer la stagnation au mouvement et le profane au sacré.