A l’occasion d’une semaine de conférence à Rêve de bisons à Muchedent, nous avons rencontré Dominique Rankin, un indien algonquin qui nous a invités à un ressourcement inattendu. Leçon de philosophie et bribes de récits de la tradition de son peuple au cœur de la nature : une rencontre spirituelle, un choc des cultures.
Dominique (T8aminik) Rankin est natif de l’Abitibi, au Québec, où il a vécu en forêt selon le mode de vie nomade jusqu’à l’âge de douze ans.
Aujourd’hui marié à une Québécoise pure souche avec qui il a eu deux enfants, il s’applique à transmettre son expérience et est toujours attaché aux valeurs traditionnelles de son peuple. C’est la raison pour laquelle il part à la rencontre de ses « frères et sœurs », comme il les appelle, afin de partager sa culture et ce sens de la spiritualité dont il a hérité de ses ancêtres.
Considéré comme un leader spirituel, l’Algonquin est conférencier, consultant en muséologie, mais aussi comédien : sa reconnaissance internationale l’a ainsi amené à voyager souvent au Canada, en Europe, au Mexique et en Amérique du Sud. Dans sa mission de transmission culturelle et de guérison, il a rejoint d'autres partenaires, dont Stéphane Denis, aux Étangs Tremblant au Québec. Là-bas, Dominique Rankin y préside le centre ethno-culturel Kanatha-Aki. (www.etangstremblant.com)
Nous avons eu la possibilité de rencontrer Dominique T8aminik Rankin, ayant été mis en contact avec Sébastien Denis, le frère du propriétaire de Rêves de bison à Muchedent. Ce dernier est parti vivre au Canada où il tient la pisciculture Val-des-Lacs des Etangs tremblant, lieu qui constitue la première réserve de bisons des bois au Québec. Les deux hommes ont fait connaissance à l’occasion de la naissance du 7e bison blanc au monde, fait miraculeux que l’on pourrait comparer à l’apparition de la Sainte Vierge pour les catholiques. Depuis, les hommes sont devenus proches, et c’est pourquoi Dominique Rankin a été accueilli avec sa sœur et son neveu chez le frère de Sébastien pour la première fois à Muchedent pour un séjour de conférences.
J’aimerais prendre un ton plus détaché et plus neutre, mais c’est chose impossible puisque que cette rencontre a dépassé le cadre strictement professionnel. A mon arrivée à Muchedent, un groupe d’écoliers est déjà sur place. Dominique Rankin arrive sous les yeux ébahis des enfants qui ne tarderont pas à l’assaillir de questions. Dominique Rankin, bandana rouge encerclé sur sa tête, tunique par-dessus son blue jean et collier traditionnel, semble sortir tout droit d’un film documentaire. Il expliquera quelques instants sa vie avec ses dix-huit frères et sœurs, tous nés dans la forêt, ainsi que quelques anecdotes sur sa vie, comme le choix du nom de sa fille ou l’organisation familiale de son peuple.
Un voyage introspectif
Bientôt, Dominique vient à moi et propose de partir à quelques pas de là en forêt pour rejoindre le tipi et voir le « sweat lodge » spécialement installé pour l’occasion. Le charisme et la sagesse que dégage cet homme est impressionnant. Nous descendons de la voiture, et me priant de bien vouloir laisser carnet de notes et appareil photo dans mon véhicule, il m’emmène au bord de la rivière. Dominique se lance alors dans un récit de la conception de la vie de son peuple. D’abord, il aborde l’importance des quatre directions dans la tradition amérindienne qui revêtent une importance primordiale : le Nord, symbolisé par la couleur blanche, représente l'air, l'Est, symbolisé par le jaune, le feu, le Sud, symbolisé par le rouge, la Terre, et enfin l’Ouest, symbolisé par le noir, l'eau. Puis l’homme enchaîne sur de multiples explications existentielles et essentielles qui me donnent à réfléchir sur la façon dont je mène ma vie. Travail, stress, manque de sommeil, il m’assure que nous sommes esclaves de notre vie. Pour soigner les maux du quotidien, L’indien pratique la guérison par les plantes, un don qu’il travaille continuellement pour lui-même, mais aussi pour les autres. Condamné il y a quelques années par la maladie, ce n’était pas le « moment » pour lui de partir : (« Ce n’était pas un beau jour pour mourir ») et les plantes l’ont sauvé. La joie de vivre est aussi, selon lui, un remède. Cette gaieté, il ne la ressent pas forcément en Normandie. Dominique avoue en effet ressentir beaucoup de tristesse. Le poids du passé historique qui perdure à travers les générations : « Les gens parlent peu ici et semblent être fermés. Je me suis rendu dans un supermarché avec ma sœur et personne ne sourit. On sent pourtant que les gens ont besoin d’être aimés. Chez nous, les gens se font des câlins. C’est comme si on protégeait l’autre dans une coquille d’œeuf. On est tous frères et sœurs » explique Dominique Rankin.
La femme, un être sacré
Derrière le chemin qui mène à la rivière, j’aperçois le fameux « sweat lodge » installé par Dominique, sa sœur, son neveu et Sébastien Denis. Par respect, et selon le souhait de Dominique, je ne prends pas de photo. Un petit dôme jaillit de la terre. Sweat, c’est la sudation. Normal, il fait près de 45 °C à l’intérieur. Femmes et hommes s’y installent, tels des fœtus, les uns en tenue de bain, les unes en tee-shirt et en jupes. Les pierres, appelées « grands-mères » ou « grands-pères », chauffent au milieu sur le feu. C’est comme un retour dans le ventre de « mama ». C’est ce qui sera proposé samedi aux curieux qui auraient envie de vivre une expérience hors du commun.
Si je me sens hors du temps, dans une autre dimension, dans son discours Dominique rapporte aussi combien la femme est respectée « chez lui » : c’est celle qui donne la vie, celle avec qui la vie prend un sens. Après près de deux heures passées avec l’indien, je me sens apaisée. Parler de la vie, de la nature, se retrouver face à ses peurs, ses croyances ; ça n’arrive jamais, ou rarement dans notre société. Pas le temps. Et si j’ai conscience que cette expérience ne se renouvellera peut-être jamais, je n’ai qu’une chose à dire : Migwech ! (merci).